La haine anti-juive serait en baisse

L'étrange réponse onusienne à Ahmadinejad

Matthias Küntzel

Weekly Standard, 17/11/08

C’est le monde à l’envers : Aux Nations unies – organisation née de la lutte contre l’Allemagne nazie et dont le but était d’incarner les leçons de l’Holocauste – un chef d’Etat déverse ouvertement une propagande antisémite dans un discours prononcé devant l’Assemblée générale. Reconnaissons qu’il prend la peine de dénoncer les « sionistes » et d’éviter le mot « Juifs », mais cette esquive facile à déceler pour quiconque a étudié le nazisme. Son discours est salué par des acclamations et ni le Secrétaire général des Nations unies, ni aucun chef de gouvernement occidental ne se sont donné la peine de protester. Les médias sont, pour la plupart, restés silencieux.

Cela s’est produit le 23 septembre 2008, et l’orateur était le Président Mahmoud Ahmadinejad. Personnalité familière à l’ONU, Ahmadinejad est connu pour utiliser son temps de parole à la tribune pour prêcher son attente fervente du retour du messie chiite. Cette fois, il est allé plus loin, tirant aussi son inspiration des Protocoles des Sages de Sion.

Les sionistes, a-t-il dit à l’assemblée, sont l’ennemi éternel de la « dignité, de l’intégrité et des droits des peuples américain et européen » (c’est la traduction de ses remarques sur le site de l’ONU). Quoique peu nombreux, les sionistes

« ont mis la main sur une partie importante des institutions financières et monétaires, ainsi que sur les centres de décision politique de quelques pays européens et des Etats-Unis, et ce de manière trompeuse, complexe et subtile. »

Les sionistes sont si influents dans le monde entier que même

« certains élus à la présidence ou au poste de Premier ministre de quelques grands pays doivent aller les voir, participer à leurs rassemblements, protester de leur allégeance et de leur engagement à favoriser leurs intérêts pour obtenir un soutien financier ou médiatique. »

En particulier, même « le grand peuple américain et diverses nations européennes » sont pris dans les griffes de la puissance juive : ils

« doivent obéir aux exigences et aux souhaits d’un petit nombre de personnes ambitieuses et envahissantes. A leur corps défendant, ces nations galvaudent leur dignité et leurs ressources pour soutenir les crimes, l’occupation et les menaces du réseau sioniste ».

Cependant la libération est proche. Selon Ahmadinejad,

« Aujourd’hui, le régime sioniste est définitivement sur la pente de l’effondrement, il est dans l’impossibilité de sortir du cloaque que lui et ses partisans ont généré. »

Naturellement il n’y a rien de nouveau dans cette rhétorique d’Ahmadinejad. S’exprimant devant la conférence internationale des négateurs de l’Holocauste, à Téhéran, en décembre 2006, il déclarait (dans un discours traduit par l’Institut de Recherche sur le Moyen-Orient – MEMRI) que

« le régime sioniste serait balayé, et [que] l’humanité serait libérée »,

affranchie – entendez : de la minorité « ambitieuse et envahissante », dont il avait révélé au grand jour qu’elle était la vraie puissance à l’œuvre derrière les gouvernements occidentaux. Ce sentiment n’est pas si éloigné de celui qui s’exprimait dans une directive nazie de 1943 :

« Cette guerre se terminera par une révolution antisémite mondiale et par l’extermination de la Juiverie dans le monde entier, qui sont l’une et l’autre la condition préalable d’une paix durable.

De même que l’utopie de Hitler – la « paix allemande » – exigeait l’extermination des Juifs, la « paix islamique » des dirigeants iraniens est conditionnée par l’élimination d’Israël.

La prestation d’Ahmadinejad donna lieu aux applaudissements des auditeurs et à une chaude accolade du président de l’Assemblée générale, Miguel d’Escoto Brockmann, un prêtre catholique de 75 ans, détenteur du Prix Lénine de l’ancienne Union Soviétique. D’Escoto est un ami proche du président du Nicaragua, Daniel Ortega, dans le gouvernement duquel il occupa les fonctions de ministre des Affaires étrangères, de 1979 à 1990. C’est ce même Ortega qui, quatre semaines après la conférence des négateurs de l’Holocauste, à Téhéran, s’est associé à l’accueil formulé par le Président du Venezuela, Hugo Chavez, saluant Ahmadinejad, en visite en Amérique Latine, comme

« un président décidé à se joindre au peuple du Nicaragua pour la grande bataille contre la pauvreté. »

Digne d’intérêt également est l’absence de réaction des capitales européennes à la prestation d’Ahmadinejad à l’ONU, à trois exceptions près. Les ministres des Affaires étrangères allemand et français ont critiqué « l’antisémitisme flagrant » d’Ahmadinejad, et Barack Obama a exprimé sa déception de ce qu’on ait donné au président iranien une tribune pour diffuser ses conceptions haineuses et antisémites ». Ceci mis à part, l’utilisation abusive de l’ONU pour répandre une propagande antisémite n’a même pas été enregistrée comme une provocation.

Le 23 septembre, le jour même où il avait prononcé son discours, Ahmadinejad était l’invité de Larry King sur CNN. King offrit au président l’occasion de pérorer à son gré durant une heure.

Le jour suivant, dans un article écrit pour Salon, le spécialiste de l’Iran, Juan Cole, de l’Université du Michigan, prit à partie Obama pour ses commentaires à propos d’Ahmadinejad. Cole cita une seule phrase du discours à l’ONU, dans laquelle Ahmadinejad critiquait les Etats-Unis, passant sous silence les passages antisémites. Et Cole d’insister :

« Alors que Larry King a montré le véritable Ahmadinejad, Obama est tombé dans le piège consistant à refuser de faire la distinction entre des conceptions antisémites et antisionistes. »

Ensuite, le 25 septembre, Ahmadinejad se rendit au New York Times. Dans l’entretien qui fut publié le lendemain, il réitéra ses conceptions antisémites sans déclencher de protestation chez son intervieweur, Neil MacFarquhar.

« Le sionisme » expliqua Ahmadinejad, « est la cause fondamentale de l’insécurité et des guerres… Quel engagement oblige le gouvernement américain à poser en victime pour soutenir un régime qui est essentiellement criminel ? »

De tels propos contrastent de manière frappante avec la réaction indignée du Times, en 2003, quand le Premier ministre de Malaisie, Mohamad Mahathir, prononça un discours antisémite [1]. A l’époque, le Times écrivait :

« Il est difficile de savoir ce qui est le plus alarmant : une déclaration empoisonnée de haine des Juifs émise par le Premier ministre Malaisien lors de la réunion d’un sommet islamique, cette semaine, ou les acclamations unanimes qu’elle a déclenchées de la part de rois, de présidents et d’émirs présents dans la salle. »

Et comme si cela ne suffisait pas, le Times concluait son éditorial par un dur reproche à l’encontre de l’Union européenne :

« Il a été demandé à l’Union européenne d’inclure une condamnation du discours de Mahathir dans sa déclaration d’hier pour la clôture de l’assemblée de son propre sommet. Elle a choisi de ne pas le faire, renforçant l’inquiétude face au fait que des manifestations d’antisémitisme soient l’objet d’une indifférence inexcusable. »

Le Times fait aujourd’hui ce qu’il tenait, il y a si peu de temps, pour « inexcusable ».

Soixante-trois ans après Auschwitz, donc, l’antisémitisme aurait-il accédé au statut d’”expression acceptable” ? Ou le New York Times aurait-il été réellement dupé par un artifice oratoire ? Là où Mahathir était assez grossier pour dénoncer les machinations des « Juifs », Ahmadinejad s’en prend seulement aux « sionistes ». Il dit :

« Deux mille sionistes veulent diriger le monde. »

Il dit encore :

« Les sionistes » ont depuis 60 ans, fait du chantage à « tous les gouvernements occidentaux. »

Et encore :

« Les sionistes se sont imposés à une partie substantielle des secteurs de la banque, de la finance, de la culture et des médias. »

Peut-être est-ce la raison pour laquelle il est acclamé comme une star anti-impérialiste.

Mais l’acception du terme « sioniste », par le président iranien, est exactement de même nature que celle de « Juif », par Hitler, à savoir : l’incarnation du mal. Même si le régime iranien tolère la présence d’une communauté juive à Téhéran, quiconque tient les Juifs pour responsables de tous les maux du monde – qu’il les appelle « Judas », ou « sionistes » – propage un credo potentiellement génocidaire.

En fait, antisémitisme et antisionisme ont marché la main dans la main depuis plus de 80 ans, non seulement dans les annales du nazisme, mais aussi dans les fondements intellectuels de la révolution iranienne.

En 1921, le futur dirigeant de l’idéologie nazie, Alfred Rosenberg, publiait un libre intitulé « Le Sionisme, Ennemi de l’Etat ». En 1925, Hitler attaquait de la même manière le sionisme, dans Mein Kampf, en formulant cet avertissement :

« Un Etat juif en Palestine » servirait uniquement de « centre organisationnel pour leur escroquerie internationale du monde… [de] lieu de refuge pour la racaille des repris de justice, et [d’]université pour les escrocs ambitieux. »

Cette lecture de Hitler tomberait-elle dans ce que Juan Cole décrit comme

« le piège consistant à refuser de faire la distinction entre des conceptions antisémites et antisionistes. » ?

En sa qualité de chercheur capable de lire les écrits de l’Ayatollah Khomeiny dans leur langue originale, Cole est sûrement familier de son antisémitisme. Et pourtant, il fait l’impasse sur son antisémitisme, tout comme il le fait pour les passages injurieux du discours d’Ahmadinejad. Jusqu’à la révolution de 1979, le choix des mots par Khomeiny était extrêmement clair. C’est ainsi qu’il écrivait, en 1970, dans son ouvrage majeur, « Le gouvernement islamique » :

« Les Juifs… veulent établir la domination juive sur le monde entier. Comme ils constituent un groupe de gens rusés et débrouillards, je crains qu’… ils puissent atteindre leur but, un jour »

En septembre 1977, Khomeiny déclarait :

« Les Juifs ont saisi le monde des deux mains et le dévorent avec un appétit insatiable ; ils sont en train de dévorer l’Amérique et s’intéressent maintenant à l’Iran, et ils ne sont pas encore satisfaits. »

Cette citation est extraite des œuvres de Khomeiny, publiées à Téhéran en 1995.

Toutefois, à partir de 1979, Khomeiny a substitué le terme « sioniste » à celui de « Juif », sans rien changer à l’antisémitisme fondamental. Le régime des mollahs a diffusé les Protocoles des Sages de Sion dans le monde entier. En 2005, une édition anglaise des Protocoles était proposée par les libraires iraniens, à la Foire du Livre de Francfort, l’année même où le fervent admirateur de Khomeiny, Ahmadinejad, était élu président.

Aujourd’hui, l’antisémitisme des nazis est adopté à Téhéran avec tout le zèle qui enflamme la guerre religieuse. Comme l’a affirmé l’Ayatollah Nouri-Hamedani, l’une des autorités religieuses majeures du régime, dans une déclaration publiée en 2005 par l’agence de presse iranienne, Fars (mais rapidement ôtée du site Web de Fars, selon MEMRI) :

« On doit combattre les Juifs et les vaincre de manière à ce que les conditions pour l’avènement de l’Imam caché soient remplies. »

Ce qui rend le programme nucléaire iranien si dangereux n’est pas la technologie, mais la mission religieuse et antisémite qu’utilisera le régime pour atteindre ses buts.

« Téhéran porte en elle des tragédies potentielles », a dit le président israélien Shimon Pérès à l’Assemblée Générale des Nations unies, le lendemain de la prestation d’Ahmadinejad.

« L’Assemblée Générale et le Conseil de Sécurité ont la responsabilité d’empêcher les tourments mortels avant qu’ils se produisent. »

Mais ce n’est pas seulement à l’Assemblée Générale et au Conseil de Sécurité qu’incombe cette responsabilité, mais à Larry King, au New York Times, et à nous tous également.

Traduction francaise: Menahem Macina, pour upjf.org