Neuestes Buch:
Nazis und der Nahe Osten
Wie der islamische Antisemitismus entstand
Un enfant de la révolution prend le commandement
Le site upjf.org - Union de Patrons et des Professionnels Juifs de France, le 25 avril 2006
Durant la guerre Iran-Iraq, l’Ayatollah Khomeyni importa de Taiwan 500.000 petites clés en plastique. Ces breloques visaient à inspirer. Après l’invasion iraqienne de l’Iran, en septembre 1980, il était vite devenu clair que les forces iraniennes n’étaient pas un adversaire capable de se mesurer à l’armée de métier, professionnelle et bien armée, de Saddam Hussein.
Pour compenser ce désavantage, Khomeiny envoya au front des enfants iraniens, dont certains n’avaient pas plus de 12 ans. Constitués en unité militaire, ils traversaient des champs de mines en direction de l’ennemi, se frayant un chemin avec leur corps. Avant chaque mission, chaque enfant avait, à son cou, une clé taiwanaise censée lui ouvrir les portes du paradis.
A un certain stade, cependant, le bain de sang terrestre devint un problème. « Dans le passé », écrivait le quotidien iranien semi-officiel, Ettelaat, alors que la guerre faisait rage, « nous avions des volontaires enfants, âgés de 14, 15 et 16 ans. Ils entraient dans les champs de mines. Leurs yeux ne voyaient rien. Leurs oreilles n’entendaient rien. Puis, quelques instants plus tard, on voyait des nuages de poussière. Quand la poussière se dissipait, on ne voyait plus rien d’eux. Eparpillés partout alentour, gisaient des déchets de chair brûlée et des morceaux d’os ». Ettelaat rassurait ses lecteurs : on éviterait de telles scènes dorénavant. « Avant de pénétrer dans les champs de mines, les enfants s’enveloppent (désormais) dans des couvertures et se roulent sur le sol, de manière à ce que les parties de leur corps restent ensemble après l’explosion des mines et que l’on puisse les inhumer dans des tombes. »
Ces enfants qui roulaient vers leur mort faisaient partie des Basiji, un mouvement de masse créé par Khomeiny en 1979, et devenu paramilitaire après le début de la guerre pour renforcer l’armée assiégée. La Basij Mostazafan – ou “mobilisation des opprimés” – était essentiellement une milice de volontaires, dont la plupart des membres n’avaient pas 18 ans. Ils marchaient, par milliers et avec enthousiasme, vers leur propre destruction. « Les jeunes déminaient avec leur corps », rappelait, en 2002, au journal allemand, Frankfurter Allgemeine, un ancien combattant de la guerre Iran-Iraq. « Parfois, on aurait dit une course. Même sans les ordres du chef, chacun voulait être le premier. »
Le sacrifice des Basiji était effroyable. Et pourtant, aujourd’hui, il est la source non d’une honte nationale, mais d’une fierté grandissante. Depuis la fin des hostilités avec l’Iraq, en 1988, les Basiji ont vu croître leur nombre et leur influence.
Ils ont été organisés, avant tout, en brigade des mœurs, pour faire respecter la loi religieuse en Iran, et leurs “unités spéciales” d’élite ont été utilisées comme troupes de choc contre les forces antigouvernementales. En 1999 et 2003, par exemple, les Basiji ont eu pour rôle de réprimer l’agitation estudiantine. Et, l’année dernière, ils formaient le puissant noyau de la base politique qui a propulsé à la présidence Mahmoud Ahmadinejad, qui, selon la rumeur, a été instructeur du Basij durant la guerre Iran-Iraq.
Ahmadinejad savoure son alliance avec les Basiji. Il apparaît régulièrement en public avec l’écharpe Basij noire et blanche, et, dans ses discours, ne cesse de louer la “culture Basij” et le “pouvoir Basij”, avec lesquels, dit-il,
« L’Iran, aujourd’hui, fait sentir sa présence sur la scène internationale et diplomatique ».
Le fait que la suprématie de Ahmadinejad s’appuie sur les Basiji, indique que la Révolution iranienne, initiée il y a près de trois décennies, est entrée dans une phase nouvelle et inquiétante. Une jeune génération d’Iraniens, dont la conception du monde s’est formée dans les atrocités de la guerre Iran-Iraq, a accédé au pouvoir et fait preuve d’une approche idéologique plus fervente de la politique que ses prédécesseurs. Les enfants de la Révolution sont devenus ses dirigeants, à présent.
En 1980, l’Ayattolah Khomeiny appela l’invasion iraqienne une « bénédiction divine », parce que la guerre lui fournissait l’opportunité parfaite d’islamiser et la société iranienne et les institutions de l’Etat iranien. Tandis que les troupes de Saddam envahissaient l’Iran, Les Gardiens de la Révolution, qui lui étaient fanatiquement dévoués, se lançaient rapidement dans la mobilisation et la préparation de leurs forces aériennes et maritimes. Dans le même temps, le régime accélérait la transformation des Basiji en une milice populaire.
Alors que les Gardiens de la Révolution étaient des soldats adultes entraînés de manière professionnelle, la milice Basiji était essentiellement composée de garçons âgés de 12 à 17 ans et d’hommes de plus de 45 ans. Leur formation ne durait que quelques semaines et portait davantage sur la théologie que sur les armes et la stratégie. La plupart des Basiji venaient de la campagne et étaient souvent illettrés. Un fois leur entraînement achevé, chacun d’entre eux recevait un bandeau rouge sang qui le désignait comme un VOLONTAIRE POUR LE MARTYRE. Selon l’ouvrage de Sepehr Zabih, The Iranian Military in Revolution and War [L’armée iranienne dans la Révolution et la Guerre], ces volontaires constituaient près d’un tiers de l’armée iranienne, et la majeure partie de son infanterie.
La principale stratégie utilisée par les Basiji était celle de l’attaque en vagues humaines, au cours de laquelle des enfants et des adolescents à peine armés avançaient continuellement vers l’ennemi en rangs parfaitement alignés. Peu importait qu’ils tombent sous le feu de l’ennemi ou fassent exploser des mines avec leur corps : l’important était que les Basiji continuent à progresser par-dessus les restes déchiquetés et mutilés de leurs camarades tués, allant au-devant de la mort, vague après vague. Quand une brèche avait été ouverte dans les lignes iraqiennes, les commandants iraniens envoyaient leurs troupes des Gardiens de la Révolution les plus valeureux et les plus expérimentés.
Cette méthode avait un coefficient de réussite indéniable. « Il arrivaient vers nos positions en hordes énormes en faisant tournoyer leurs poings », se plaignait un officier iraqien, durant l’été 1982. « Vous pouviez abattre la première vague, puis la seconde. Mais à un certain stade, les cadavres s’entassent devant vous, et tout ce que vous pouvez faire, c’est hurler et jeter votre arme. Ce sont des êtres humains, après tout ! » A l’été de 1983, quelque 450.000 Basiji avaient été envoyés au front. Au bout de trois mois, ceux qui avaient survécu à ces opérations étaient renvoyés à leurs écoles et à leurs lieux de travail.
Mais trois mois, c’est long, quand on est au front. En 1982, au cours de la reconquête de la ville de Khorramshahr, 10.000 Iraniens périrent. A la suite de l’”opération Kheiber”, en février 1984, les cadavres de quelque 20.000 tués iraniens jonchaient le champ de bataille. L’offensive de “Karbala Quatre”, en 1986, coûta la vie à plus de 10.000 Iraniens. On dit qu’en tout, quelque 100.000 hommes et enfants ont été tués au cours des opérations Basiji. Pourquoi les Basiji étaient-ils volontaires pour une telle mission ?
La plupart d’entre eux étaient recrutés par des membres des Gardiens de la Révolution, qui commandaient les Basiji. Ces “éducateurs spéciaux” parcouraient les écoles et sélectionnaient leurs martyrs, parmi les participants aux exercices paramilitaires, auxquels les jeunes Iraniens étaient tenus de prendre part. Des films de propagande – comme le film de télévision réalisé en 1986 et intitulé A Contribution to the War [Une contribution à la guerre] célébraient cette alliance entre les étudiants et le régime, et sapaient l’autorité des parents qui tentaient de sauver la vie de leurs enfants. (A l’époque, la loi iranienne permettait aux enfants de s’engager, même contre le gré de leurs parents.) D’ailleurs, quelques parents se laissaient séduire par les avantages offerts. Lors d’une campagne appelée “Offrez un enfant à l’imam”, toute famille qui avait perdu un enfant sur le champ de bataille se voyait offrir un crédit sans intérêt et d’autres généreuses allocations. De plus, l’enrôlement dans le corps des Basiji donnait au plus pauvre d’entre les pauvres une chance de promotion sociale.
Pourtant d’autres étaient contraints au “volontariat”. En 1982, l’hebdomadaire allemand, Der Spiegel, présentait le cas d’un garçon de 12 ans, du nom de Hossein, qui fut enrôlé dans les Basiji, bien qu’il fût atteint de la poliomyélite :
Un jour, quelques imams inconnus passèrent dans le village. Ils convoquèrent toute la population sur la place qui faisait face au poste de police, et ils annoncèrent qu’ils apportaient de bonnes nouvelles de la part de l’imam Khomeiny : l’Armée Islamique d’Iran avait été choisie pour libérer la ville sainte d’Al Quds – Jérusalem – du joug des infidèles […] Le mollah local avait décidé que chaque famille ayant des enfants devrait fournir un soldat de Dieu. Comme Hossein était le moins utile à sa famille et que, du fait de son infirmité, il ne pouvait de toute façon pas s’attendre à beaucoup de bonheur dans cette vie, son père le choisit pour représenter la famille dans le combat contre les démons d’infidèles.
Des 20 enfants qui partirent à la guerre avec Hossein, seuls lui et deux autres survécurent.
Mais, si de telles méthodes peuvent jeter quelque lumière sur les raisons de leur engagement, elles n’expliquent pas la ferveur avec laquelle ils se précipitaient vers leur propre destruction. Seule la nature particulière de l’islam de la Révolution iranienne peut permettre d’élucider ce phénomène.
Au début de la guerre, les mollahs qui dirigeaient l’Iran n’envoyaient pas des êtres humains dans les champs de mines, mais des animaux : ânes, chevaux et chiens. Mais cette tactique s’avéra inutile : « Après la désintégration de quelques ânes, les autres s’enfuyaient terrorisés », relate Mostafa Arki dans son livre, Eight Years of War in the Middle East [Huit ans de guerre au Moyen-Orient]. Les ânes réagissaient normalement, car la peur de la mort est naturelle. Les Basiji, par contre, marchaient à la mort sans peur et sans plainte. Les curieux slogans qu’ils chantaient en arrivant sur le champ de bataille sont dignes d’attention ; « Contre les Yazid de notre temps ! » ; « La caravane de Hussein est en route ! » ; « Un nouveau Karbala nous attend ! ».
Yazid, Hussein, Karbala – ces mots sont tous des références au mythe fondateur de l’islam chiite. A la fin du septième siècle, l’islam était divisé entre ceux qui étaient fidèles au calife Yazid – les prédécesseurs de l’islam sunnite – et les fondateurs de l’islam chiite, qui croyaient que l’imam Hussein, petit-fils du prophète Muhammad, devait gouverner les musulmans. En 680, Hussein prit la tête d’une révolte contre le calife “illégitime”, mais il fut trahi. Dans la plaine de Karbala, le dixième jour du mois de Muharram, les troupes de Yazid attaquèrent Hussein et sa suite et les mirent à mort. Le cadavre de Hussein portait les traces de 33 trous de lance et de 34 coups d’épée.
Après avoir été décapité, son corps fut piétiné par des chevaux. Depuis lors, le martyre de Hussein a constitué le cœur de la théologie chiite, et la Célébration de la Hashura, qui commémore sa mort est le jour le plus sacré du chiisme. En cette occasion, les hommes se frappent avec leurs poings, ou se flagellent avec des chaînes de fer pour s’identifier aux souffrances de Hussein. Au fil des siècles, le rituel était devenu odieusement violent. Dans son étude intitulée Crowds and Power [Foules et Pouvoir], Elias Canetti nous rapporte un récit de première main sur la fête de la Ashura, telle qu’elle avait lieu au milieu du dix-neuvième siècle, à Téhéran :
500.000 personnes, sous l’emprise du délire, couvrent leur tête de cendres et se frappent le front contre le sol. Ils désirent s’infliger volontairement des tourments : se suicider en masse, se mutiler avec raffinement […] Des centaines d’hommes en tunique blanche s’avancent, le visage levé vers le ciel avec une expression extatique. Certains d’entre eux seront morts ce soir, beaucoup seront estropiés et mutilés, et les tuniques blanches, devenues rouges seront leur linceul […] Il n’y a pas de plus beau destin que de mourir le jour de la Célébration de la Ashura. Les portes des huit Paradis sont grand ouvertes pour les saints et tous ceux qui s’efforcent de s’y engouffrer.
De tels excès sanglants sont interdits dans l’Iran contemporain, mais, au cours de la Guerre Iran-Iraq, Khomeiny s’est emparé de l’essence de ce rituel pour en faire un acte symbolique et le revêtir d’un contenu politique. Il prit la ferveur intérieure et la canalisa vers l’ennemi extérieur. Il transforma la lamentation passive en une opposition active. Il fit de la bataille de Karbala le prototype de toute lutte contre la tyrannie. De fait, cette technique a été utilisée durant les manifestations politiques de 1978, où de nombreux manifestants iraniens portaient des linceuls pour lier la bataille de 680 à la lutte d’alors contre le Shah. Dans la guerre contre l’Iraq, une plus grande signification était attribuée à Karbala : d’un côté, l’ignoble Yazid, qui revêtait maintenant la forme de Saddam Hussein ; de l’autre, le petit-fils du Prophète, Hussein, représentant ceux qui souffrent et pour lesquels le temps de la vengeance chiite est finalement venu.
Par la suite, le pouvoir de ce récit fut renforcé par le tour théologique que Khomeiny lui imprima. Selon Khomeiny, la vie est sans valeur et la mort est le début de la véritable existence. « Le monde naturel », expliquait-il en octobre 1980, « est le plus bas élément, le rebut de la création ». Ce qui est décisif, c’est l’au-delà : Le « monde divin, qui est éternel ». Ce monde-là est accessible aux martyrs. Leur mort n’en est pas une, c’est seulement le transfert de ce monde dans celui de l’au-delà, où ils vivront éternellement et dans la gloire. Que le guerrier gagne la bataille, ou qu’il la perde en mourant en martyr, dans les deux cas, sa victoire est garantie, soit dans ce monde matériel, soit dans le monde spirituel.
Cette attitude avait une implication mortelle pour les Basiji : qu’ils survivent ou non était hors de propos. Même l’utilité stratégique de leur sacrifice importait peu. Les victoires militaires sont secondaires, expliquait Khomeiny, en septembre 1980. Le Basiji doit « comprendre qu’il est un ‘soldat de Dieu’, pour qui ce n’est pas tant le résultat du conflit que la part qu’on y prend, qui apporte plénitude et satisfaction » Le dégoût de Khomeiny pour la vie aurait-il pu avoir autant d’effet, dans la guerre contre l’Iraq sans le mythe de Karbala ? Probablement pas. C’est avec le mot de Karbala sur les lèvres que les Basiji entrèrent dans la bataille avec exultation.
Pour ceux dont le courage faiblissait pourtant en face de la mort, le régime monta un spectacle. Un mystérieux cavalier chevauchant un magnifique destrier allait apparaître soudain sur les lignes de front. Son visage – recouvert de phosphore – allait resplendir. Son costume était celui d’un prince médiéval. Reza Behrouzi, un enfant-soldat, dont le récit a été rapporté, en 1985, par l’écrivain français, Freidoune Sehabjam, racontait que les soldats réagissaient avec un mélange de terreur et de ravissement.
Tout le monde voulait courir au devant du cavalier. Mais il les tenait à distance. « Ne venez pas vers moi ! », criait-il, « Menez le combat contre les infidèles ! […] Vengez la mort de notre Imam Hussein et terrassez la descendance de Yazid ! » Et comme la silhouette disparaissait, les soldats s’écriaient en pleurant : « Oh, Imam Zaman, où êtes-vous ? » Ils tombaient à genoux, priaient et se lamentaient. Quand elle se manifestait à nouveau, ils se redressaient comme un seul homme. Ceux dont les forces n’étaient pas encore épuisées fonçaient sur les lignes ennemies.
La mystérieuse apparition, capable de déclencher de telles émotions, est l’”imam caché”, un personnage mythique qui influence la pensée et l’action d’Ahmadinejad jusqu’à aujourd’hui. Les chiites appellent “imams” tous les descendants mâles du prophète Muhammad et leur attribuent un statut quasi divin. Hussein, qui fut tué par Yazid à Karbala, était le troisième Imam. Son fils et son petit-fils étaient les quatrième et cinquième. A la fin de cette lignée, il y a le “Douzième Imam”, dont le nom est Muhammad. Certains le nomment le Mahdi (“celui qui est guidé par Dieu”), tandis que d’autres disent imam Zaman (sahib-e zaman, “le maître du temps”). Il naquit en 869, et était le fils unique du onzième Imam. En 874, il disparut sans laisser de trace, causant ainsi l’extinction de la lignée.
Toutefois, selon la mythologie chiite, le Douzième Imam a survécu. Les chiites croient qu’il s’est seulement dérobé à la vue du public, à l’âge de cinq ans, et qu’il émergera, tôt ou tard, de son “occultation”, pour délivrer le monde du mal.
Ecrivant au début des années 80, V. S. Naipaul a montré à quel point la croyance en la venue du messie chiite est profondément enracinée dans la population iranienne. Dans son livre, Among the Believers: An Islamic Journey [Au milieu des croyants : un voyage islamique], il racontait avoir vu, dans la Téhéran d’après la Révolution, des posters aux motifs similaires à ceux de la Chine maoïste : par exemple, des foules avec des fusils et des mitraillettes, brandis comme en guise d’accueil. Les posters arboraient toujours la même phrase : DOUZIEME IMAM, NOUS T’ATTENDONS. Naipaul écrit qu’il pouvait comprendre intellectuellement la vénération envers Khomeiny. « Mais il était plus difficile de comprendre l’idée de la révolution comme quelque chose de plus, comme une offrande au Douzième Imam, l’homme qui avait disparu […] et restait “occulté”. Selon la tradition chiite, un pouvoir islamique légitime ne peut s’établir qu’après la réapparition du Douzième Imam. D’ici là, les chiites n’ont qu’à attendre, à supporter en paix un pouvoir illégitime, et à se remémorer, avec tristesse, Hussein, le petit-fils du Prophète. Mais Khomeiny n’avait pas l’intention d’attendre. Il revêtit le mythe d’un sens entièrement nouveau : le Douzième Imam ne surgirait que quand les croyants auraient vaincu le mal. Pour hâter le retour du Mahdi, les musulmans devaient secouer leur torpeur et combattre. Cet activisme a davantage de choses en commun avec l’idée révolutionnaire des Frères Musulmans d’Egypte, qu’avec le chiisme. Khomeiny s’était familiarisé avec les textes des Frères Musulmans depuis les années trente, à savoir : que les réalisations de la modernité ont remplacé la providence divine par le libre arbitre individuel, la foi aveugle par le doute, et la morale austère de la charia par les plaisirs des sens. Selon la légende, Yazid était l’incarnation de tout ce qui est interdit. Il buvait du vin, prenait plaisir à écouter de la musique et des chansons, et jouait avec des chiens et des singes. Et n’était-ce pas précisément le cas de Saddam ? Dans la guerre contre l’Iraq, le “mal” était clairement défini, et vaincre le mal était la condition préalable pour hâter le retour du Douzième Imam bien-aimé. Lorsqu’il se donna à voir durant quelques minutes, caracolant sur sa monture, la volonté de mourir en martyr s’accrut considérablement.
C’est cette culture qui a nourri la conception du monde de Mahmoud Ahmadinejad. Né hors de Téhéran, en 1956, fils d’un forgeron, il acquit une formation d’ingénieur civil, et durant la Guerre Iran-Iraq, il s’agrégea aux Gardiens de la Révolution. Sa biographie demeure étrangement elliptique. A-t-il joué un rôle dans la prise de contrôle de l’Ambassade des Etats-Unis, en 1979 ? Qu’a-t-il fait, au juste, durant la guerre ? Nous n’avons aucune réponse claire à ces questions. Son site présidentiel dit simplement qu’il a été « en service actif en tant que volontaire Basiji jusqu’à la fin de la sainte défense [la guerre contre l’Iraq], et qu’il a servi comme Ingénieur de combat dans différentes sphères de responsabilité ».
Nous savons qu’après la fin de la guerre, il a été gouverneur de la Province d’Ardebil, et organisateur de Ansar-e Hezbollah, un groupe radical de vigilance composé d’islamistes fondamentalistes, connu sous le nom de Abadgaran-e Iran-e Islami, ou Promoteurs d’un Iran islamique. C’est dans ce rôle qu’il se tailla la réputation – et la popularité – d’un dirigeant rigide attelé à défaire les réformes libérales du président d’alors, Muhammad Khatami. Ahmadinejad se positionna en dirigeant d’une “seconde révolution” en vue d’éradiquer de la société iranienne la corruption et les influences occidentales. Les Basiji, dont le nombre s’était extrêmement accru depuis la fin de la Guerre Iran-Iraq, l’adoptèrent. Recrutés dans les couches les plus pauvres et les plus conservatrices de la population, les Basiji sont sous la direction du Guide Suprême et successeur de Khomeiny, Ali Khameiny, auquel ils ont juré une loyauté absolue. Durant la course à la présidence d’Ahmadinejad, en 2005, les millions de Basiji de toutes les villes, faubourgs et mosquées d’Iran, devinrent les artisans non officiels de sa campagne.
Depuis que Ahmadinejad est devenu président, l’influence des Basiji a grandi. En novembre, le nouveau président inaugurait la “semaine Basiji” annuelle, qui commémore les martyrs de la Guerre Iran-Iraq. Selon un rapport publié par Kayan, une publication fidèle à Khameiny, quelque neuf millions de Basiji – soit 12% de la population iranienne – se sont rassemblés pour une manifestation en faveur de la plateforme antilibérale de Ahmadinejad. L’article affirmait que « les manifestants form[aie]nt une chaîne humaine de quelque 8.700 km de long […] Rien qu’à Téhéran, 1.250.000 personnes se sont rassemblées ».
Fin juillet 2005, le mouvement Basiji annonçait qu’il projetait d’accroître le nombre de ses membres, qui passerait de 10 à 15 millions vers 2010. On estime que les unités d’élite spéciales comptent pour l’instant quelque 150.000 membres. Les Basiji ont donc reçu de nouveaux pouvoirs dans leur fonction en tant que département non officiel de la police. Ce que cela implique en pratique est devenu clair en février 2006, quand les Basiji ont attaqué le chef du syndicat des conducteurs d’autobus, Massoud Osanlou. Ils l’ont retenu prisonnier dans son appartement et lui ont coupé l’extrémité de la langue pour le convaincre de se taire. Aucun Basiji ne doit craindre d’être poursuivi en justice pour de telles méthodes terroristes.
Du fait que l’idéologie et l’influence des Basiji bénéficient d’un renouveau sous la présidence d’Ahmadinejad, la foi du mouvement dans les vertus de l’immolation violente de soi-même reste intacte. Il n’y a pas, en Iran, de “commission de vérité” pour enquêter sur le suicide collectif planifié par l’Etat, qui eut lieu de 1980 à 1988. Par contre, on enseigne à tous les Iraniens, depuis l’enfance, les vertus du martyre. A l’évidence, beaucoup d’entre eux rejettent les enseignements Basiji. Néanmoins, chacun connaît le nom de Hossein Fahmideh, un enfant de 13 ans, qui, durant la guerre, se fit exploser devant un char iraqien. Son image suit les Iraniens tout au long de la journée, que ce soit sur des timbres postaux ou sur l’argent. Si vous exposez un billet de 500 rials à la lumière, c’est le visage de cet enfant que vous verrez en filigrane. L’immolation volontaire de Fahmideh est présentée, dans la presse iranienne, comme un modèle de foi profonde. Il a été le thème à la fois d’un film d’animation et d’un épisode d’une série télévisée, “Les enfants du Paradis”. Pour symboliser leur volonté de mourir pour la Révolution, les groupes Basiji portent un linceul blanc par-dessus leur uniforme dans les manifestations publiques.
Au cours de la Fête de la Ashura de cette année, on a emmené les écoliers en excursion dans un “Cimetière de Martyrs”. Le New York Times relatait : « Ils portent autour de la tête des bandeaux sur lesquels est dessiné le nom de Hussein, et marchent sous des bannières où l’on peut lire : “Se souvenir des Martyrs, aujourd’hui, est aussi important que de devenir un Martyr”, et “La nation qui considère le Martyre comme un bonheur sera toujours Victorieuse” ». Depuis 2004, la mobilisation des Iraniens dans des brigades-suicide s’est intensifiée, et elle inclut un entraînement des recrues pour des missions à l’étranger. C’est ainsi qu’a été créée une unité spéciale qui porte le nom de “Commando des Martyrs Volontaires. « Selon ses statistiques, cette force a recruté jusqu’ici quelque 52.000 Iraniens pour la cause du suicide. Son objectif est de former une “unité du martyre” dans chaque province iranienne.
Le culte Basiji de l’autodestruction serait terrifiant dans n’importe quel pays. Mais dans le contexte du programme nucléaire iranien, son obsession du martyre équivaut à un détonateur allumé. Actuellement, les Basiji ne sont pas envoyés dans le désert, mais plutôt dans les laboratoires. Les étudiants Basiji sont encouragés à s’inscrire dans des disciplines techniques et scientifiques. Selon un porte-parole des Gardiens de la Révolution, l’objectif est d’utiliser le “facteur technique” pour accroître la “sécurité nationale”.
Qu’est-ce que cela signifie exactement ? Prenons en compte le fait que, en décembre 2001, l’ancien président iranien, Hashemi Rafsanjani, expliquait que « l’utilisation ne serait-ce que d’une seule bombe contre Israël y détruirait tout ». Par contre, si Israël répliquait avec ses propres armes nucléaires, cela « ne causerait des dégâts qu’au monde islamique. Il n’est donc pas déraisonnable d’envisager une telle éventualité. » Rafsanjani énonçait ainsi une macabre analyse de pertes et profits. Il pourrait être impossible de détruire Israël sans subir des représailles. Mais, le niveau des dommages qu’Israël pourrait infliger à l’islam est supportable – il ne ferait qu’ajouter environ 100.000 martyrs de plus pour l’Islam.
Pourtant, Rafsanjani fait partie de l’aile modérée de la Révolution iranienne ; il croit que tout conflit doit avoir un résultat “qui en vaille la peine”. Au contraire, Ahmadinejad est prédisposé aux perspectives apocalyptiques. Dans l’une de ses premières interviews, après son élection à la présidence, il déclarait avec enthousiasme : « Y a-t-il un art plus magnifique, plus divin, plus éternel que celui de la mort d’un martyr ? » En septembre 2005, il concluait son premier discours à la tribune des Nations Unies en implorant Dieu d’opérer le retour du Douzième Imam. Il finance un institut de recherche à Téhéran, dont le seul but est d’étudier et, si possible, de hâter la venue de l’imam. Il y revenait avec insistance lors d’une conférence de théologie, en novembre 2005 : « La tâche la plus importante de notre Révolution, est de préparer la voie au retour du Douzième Imam ».
Une politique menée en alliance avec une force surnaturelle est nécessairement imprévisible. Pourquoi un président iranien s’engagerait-il dans une politique pragmatique quand son postulat est que, dans trois ou quatre ans, le sauveur apparaîtra ? Si le Messie est sur le point de venir, pourquoi faire des compromis ? C’est pourquoi, jusqu’à maintenant, Ahmadinedjad a mené des politiques de confrontation avec un plaisir évident.
L’histoire des Basiji montre que nous devons nous attendre à des monstruosités de la part du régime iranien. Déjà, ce qui a commencé dans les années 80 par le nettoyage des champs de mines à l’aide de détonateurs humains, s’est répandu dans tout le Moyen-Orient, comme l’illustrent les attentats-suicide à l’explosif qui sont devenus la stratégie préférée des terroristes. Les spectacles motivants dans le désert, avec des acteurs engagés pour jouer le rôle de l’imam caché, ont pris la forme d’une confrontation ouverte entre un président iranien fanatique et le monde occidental. Et le Basiji qui autrefois errait dans le désert, armé seulement d’un simple bâton de marche travaille aujourd’hui comme chimiste dans une usine d’enrichissement d’uranium.
Traduction francaise: Menahem Macina